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Le cadeau

Léonid Andreïev

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Leonid Andreïev - journaliste et écrivain russe (1871 - 1919)Traduction par Serge Persky. écrivain, critique littéraire et traducteur français d'origine russe. (1870 - 1938)LE CADEAUI— Tu viendras bien sûr! demanda Sénista pour la troisième fois, et pour la troisième fois, Sazonka lui répondit avec vivacité:— Je viendrai, je viendrai, n'aie pas peur. Il ne manquerait plus que cela, que je ne vienne pas! Bien sûr, je viendrai!Et de nouveau ils se turent. Couché tout de son long, Sénista avait remonté jusqu'au menton la grise couverture d'hôpital. il regardait fixement Sazonka. il aurait voulu que celui-ci ne s'en allât pas encore et qu'il lui confirmât une fois de plus du regard la promesse de ne pas l'abandonner à la solitude, à la maladie, à la peur. Sazonka, lui,avait envie de partir, mais il ne savait comment s'y prendre pour ne pas faire de la peine au petit garçon. il reniflait, glissant de sa chaise et s'y rasseyant avec énergie, comme pour toujours. Il serait resté volontiers s'il avait su de quoi parler, mais les thèmes de conversation manquaient. il lui venait des idées baroques, dont il était à la fois amusé et honteux. Ainsi la tentation lui prenait à tout moment d'appeler Sénista par son nom entier: Sénista Eroféiévitch, ce qui était tout à fait idiot, Sénista étant un petit apprenti et Sazonka un ouvrier habile et un grand ivrogne, à qui l'on donnait son petit nom par habitude seulement. Il n'y avait pas plus de quinze jours qu'il avait appliqué sa dernière gifle à Sénista. c'était très mal, et il était également impossible d'en parler.Sazonka se mit résolument à glisser de sa chaise. mais avant d'arriver à la moitié du parcours, il se rassit avec tout autant de décision et déclara:— Voilà les affaires! Tu as mal, hein?Sénista hocha la tête affirmativement et répondit à mi-voix:— Eh bien, va-t'en! Sans cela «il» criera!— C'est vrai! répliqua Sazonka enchanté du prétexte. Du reste, c'est ce qu'il a recommandé. «dépêche-toi», m'a-t-il dit, «tu reviendras tout de suite, et sans aller boire». Quel diable que cet homme!Mais dès qu'il eut senti qu'il pouvait s'en aller immédiatement, Sazonka éprouva une profonde pitié pour le petit Sénista à la grosse tête. Ce sentiment lui vint à la vue du décor inaccoutumé, de la rangée compacte des lits occupés par des êtres pâles et maussades. L'odeur des médicaments, jointe aux émanations des malades, imprégnait l'atmosphère. La sensation de sa propre force et de sa santé retenait aussi l'ouvrier. Sans éviter plus longtemps le regard suppliant de l'enfant, Sazonka se pencha vers lui et répéta avec fermeté:— N'aie pas peur, Sénista: je viendrai. Dès que je serai libre, je viendrai te voir. Est-ce que nous ne sommes pas des hommes, mon Dieu?... Nous aussi, nous comprenons ce que nous avons à faire.

Nombre de pages : 10

Date de publication :

Éditeur : Audiocité

Le studio Littérature

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