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Le mariage manqué suivi de Bizaroïd

Alphonse Allais

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Alphonse Allais - Le mariage manquéBoulevard Saint-Michel, Sapeck passait un dimanche soir, lorsqu'il fut accosté par un jeune potache qui lui demanda, le képi à la main :- Pardon, monsieur, vous plairait-il de me rendre un petit service ?- Tel est le plus cher de mes voeux. De quoi s'agit-il ?- Tout simplement de me rentrer au lycée Saint-Louis. Devant le censeur, vous me ferez vos adieux comme si vous étiez mon oncle.Les voilà partis, Sapeck et le potache . Sapeck grave, le potache enchanté.Dans le parloir, devant le censeur qui préside à la rentrée des élèves, Sapeck redouble de gravité :- Bonsoir, mon neveu.- Bonsoir, mon oncle.- Travaille bien, mon neveu, et ne sois pas collé dimanche. Que ta devise soit celle de Tacite : Laboremus et bene nos conduisemus, car, comme l'a très bien fait observer Lucrèce dans un vers immortel : Sine labore et bona conducta ad nihil advenimus. Et surtout sois poli et convenable avec tes maîtres : Maxima pionibus debetur reverentia.Le pauvre potache, pendant ce discours, semblait un peu gêné de la latinité cuisinière de son oncle improvisé. Il risqua un : Bonsoir, mon oncle ! timide.Mais Sapeck ne l'entendait pas ainsi. Il venait d'apercevoir, luisant sur le gilet du lycéen, une superbe chaîne d'or.- Comment ! s'écria-t-il, petit malheureux, tu emportes ta montre au collège ? Ne sais-tu donc pas qu'à Rome, à la porte de chaque école, se trouvait un fonctionnaire chargé de fouiller les petits élèves et de leur enlever les sabliers et les clepsydres qu'ils dissimulaient sous leur toge ? On appelait cet homme le scholarius detrussator, et Salluste avait dit à cette époque : Chronometrum juvenibus discipulis procurat distractiones.- Mais, mon oncle...- Remets-moi ta montre.Le censeur intervint :- Remettez donc votre montre à monsieur votre oncle. D'ailleurs, vous n'en avez nul besoin au lycée.Le potache commençait à éprouver de sérieuses inquiétudes pour son horlogerie, quand le bon Sapeck, dont le coeur est d'or, conclut avec une infinie mansuétude :- Allons, mon enfant, garde ta montre, et qu'elle soit pour moi le symbole du temps qui passe et ne saurait se rattraper : Fugit irreparabile tempus.Cette histoire de mon ami Sapeck m'est revenue au souvenir, ces jours-ci, à l'épilogue d'une aventure qui m'arriva l'année dernière, et dont le début présente quelque analogie avec la première.Moi aussi, je fus accosté par un potache. C'était un dimanche après-midi, à la fête de Neuilly.Comme à Sapeck, mon potache me demanda, le képi à la main :- Pardon, monsieur, vous plairait-il de me rendre un petit service ?- Si cela ne me dérange en rien (1), répondis-je poliment, je ne demande pas mieux. De quoi s'agit-il ?- Voici, monsieur... Permettez-moi d'abord de vous présenter ma bonne amie, dont je suis éperdument amoureux.Et il me présenta une manière de petite brune drôlichonne qui

Nombre de pages : 5

Date de publication :

Éditeur : Audiocité

Le studio Littérature

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